La Responsabilité sociétale des entreprises – l’agilité, accélérateur des démarches de RSE ?

Evaluation de la contribution de l’agilité, telle que décrite dans le Disciplined Agile, à la mise en œuvre d’une démarche de Responsabilité Sociétale suivant la norme ISO 26000

1. Introduction

Dans notre société du 21eme siècle, les transformations des organisations s’accélèrent. L’enjeu est pour elles de gagner en capacité à répondre toujours plus vite et toujours mieux à des enjeux toujours plus nombreux.

Agilité et responsabilité sociétale à l’ordre du jour des organisations

Sur les aspects organisationnels, l’agilité tente d’apporter une réponse avec de nouvelles façon de travailler et de s’organiser. Depuis la publication du manifeste Agile en 2001, le nombre de modèles, pratiques et approches se sont multipliées au fur et à mesure de la demande croissante des transformations agiles et agiles à grande échelle des entreprises.

En parallèle, l’urgence climatique et plus récemment la pandémie de COVID 19 ont remis à l’ordre du jour un enjeu fort de responsabilité sociétale, qui progresse dans l’esprit des individus et dans le monde du travail en général. Notamment grâce à un cadre règlementaire de plus en plus concret, nous voyons de nombreuses organisations qui commencent à lancer des démarches sur ces sujets (entreprise à mission, nomination d’un responsable RSE rattaché au DG, implémentation du numérique responsable, etc…).

Une question apparait donc naturellement : ces sujets sont-ils liés ? L’agilité et la Responsabilité Sociétale ont-ils un bout de chemin à faire ensemble ?

L’intérêt d’étudier la corrélation entre l’agilité et la Responsabilité Sociétale

Le numérique est aujourd’hui responsable d’une empreinte environnementale importante à l’échelle de notre planète. Le rapport de l’étude de GreenIT montre ces chiffres, par exemple :

A l’échelle mondiale, le numérique consomme 4,2% de l’énergie primaire (EP) produite et emet 3,8% des gaz à effet de serre. Comme le dit le rapport : “Ces ordres de grandeurs […] peuvent paraître faibles. Mais si le numérique était un pays, il aurait environ 2 à 3 fois l’empreinte de la France.”

En plus de l’utilisation des ressources, les questions du recyclage et des conditions de travail dans les pays où ces ressources sont extraites doivent se poser.

Nous participons tous à cela, par nos achats, par notre utilisation des services numériques et nous, qui sommes dans le numérique, par notre travail. Nous participons donc aussi tous à éduquer notre entourage et à améliorer de la situation. En tant que professionnels des organisations et coachs Agile, nous cherchons comment nos interventions peuvent y participer.

La question : « l’agilité peut-elle aider à rendre les entreprises plus responsables ? » nous semble alors centrale, et c’est ce que nous proposons de d’étudier ici.

Modèles et méthode choisis – Disciplined Agile, et la norme ISO 26000

Nous avons choisi de traiter la comparaison d’un pilier de l’agilité avec un pilier de la Responsabilité Sociétale pour répondre à cette question : le Disciplined Agile (abréviation DA dans la suite de cet article) et la norme ISO 26000.

Pourquoi cette approche ? Tout simplement car nous n’avons trouvé aucune donnée ni aucune étude sur le sujet, et il nous paraissait donc important de faire un premier pas dès maintenant. Dans la conclusion, nous proposerons quelques idées d’expérimentations qui pourraient être menées pour aller plus loin et compléter notre étude.

Vue d’ensemble du Disciplined Agile

Pour l’agilité, nous pensions à l’origine partir du manifeste agile historique. Cependant, nous avons pensé que la dimension « customer centric » allait induire un biais important et gênant en comparaison d’un modèle Responsabilité Sociétale intégrant diverses parties prenantes (régulateur, associations, employés, etc…). En conséquence, c’est vers le Disciplined Agile que notre choix s’est porté, car s’il reste assez proche du manifeste agile d’origine, certains élargissements nous semblaient adaptés à l’évaluation que nous voulions faire.  En particulier, nous tenions à l’extension à une agilité « business », et le passage d’une « customer centricity » à une « stakeholder centricity » proposées dans ce nouveau manifeste.

Attention, cet article n’a pas à vocation de promouvoir un remplacement de l’Agile manifesto par le Disciplined Agile, ni de dire que la proposition actuelle du Disciplined Agile n’a pas de (nombreux) axes d’amélioration.

Dans la pratique, le Disciplined Agile Manifesto se découpe en deux grandes parties, utilisées durant notre étude :

  • 5 « Ways of working » (ou WoW) proposant à chaque fois une comparaison entre une façon de fonctionner et une façon « agile » de fonctionner, sous le format « X over Y »
  • 17 principes résumant à chaque fois une intention d’une organisation agile en une phrase

Vous retrouverez le détail de ces éléments en annexe 1 du présent document.

Vue d’ensemble de la norme ISO 26000

Du côté de la Responsabilité Sociétale, la question fut plus complexe tant le sujet est émergeant et la formalisation / normalisation est clivante. Souhaitant rester sur une approche généraliste, applicable dans tous les contextes, et avec une rigueur de développement certaine, c’est sur la norme ISO 26000 que nous avons choisi de concentrer notre étude. D’autres modèles plus spécialisés, comme le Numérique Responsable, bien que très pertinents dans la recherche d’une responsabilité sociétale, n’ont pas été retenus.

Dans la pratique, la norme ISO 26000 peut être découpée en 4 parties :

  • 7 principes de comportement liés à la Responsabilité Sociétale
  • 2 pratiques fondamentales pour initier une démarche Responsabilité Sociétale
  • 7 questions centrales liées à la Responsabilité Sociétale
  • 6 axes d’intégration de la responsabilité sociétale dans l’ensemble de l’organisation

Vous retrouverez le détail de ces éléments en annexe 2 du présent document.

Les différents chapitres de l’étude, ci-dessous, reprennent le découpage de la norme ISO 26000 (avec un regroupement des principes de comportement et des pratiques fondamentales dans un seul chapitre).

Méthode d’évaluation

Pour chaque principe, pratique fondamentale, question centrale, ou élément d’intégration de la norme ISO 26000, nous avons évalué la contribution de chaque Way of working et principe du disciplined agile manifesto, en suivant une quantification simple :

Note

Impact sur la RSE

+2Contribue fortement / naturellement à la RSE
+1Donne des mécanismes qui favorise la RSE
0Sans effet / hors scope
-1Donne des mécanismes qui freine la RSE
-2Ralentit fortement / va à l’encontre de la RSE

Les résultats consolidés nous permettent d’apprécier l’impact de tout ou partie du Disciplined Agile sur tout ou partie de la norme ISO 26000.

2. Contribution de l’agilité aux principes de comportement et pratiques fondamentales de la RSE

Le point d’entrée de la norme ISO 26000 concerne les principes et les pratiques fondamentales (parties 1 et 2 de la norme). Ces éléments permettent de poser le cadre de travail de la Responsabilité Sociétale, et d’initier la mise en œuvre de cette dernière.

Contribution de l’agilité aux principes de la norme ISO 26000

Rappel des principes de comportement de la norme ISO 26000

Du côté des principes de comportement, ISO en établit 7, supposés concerner l’ensemble des organisations, de toutes les tailles, privées ou publiques, locales ou internationales :

  • La redevabilité (accountability),
  • La transparence,
  • Le comportement éthique,
  • La reconnaissance des intérêts des parties prenantes,
  • Le principe de respect de la loi,
  • La prise en compte des normes internationales de comportement,
  • Le respect des droits de l’Homme

Evaluation de la contribution du Disciplined Agile

En étudiant la contribution du DA à ces différents principes, nous remarquons 3 catégories distinctes.

Tout d’abord, les principes de redevabilité, de transparence, et de reconnaissance des intérêts des parties prenantes sont valorisés par l’agilité (sans être poussés naturellement).

Ensuite, les principes de prise en compte des normes internationales de comportement et le respect des droits de l’homme sont très présents au niveau des Ways of Working de l’agilité, mais moins dans les principes, plus concrets.

Enfin, le comportement éthique et le respect du principe de légalité ne semblent pas mis en avant par l’agilité, mais pas dégradés non plus.

 

Cette analyse est résumée dans la figure 1 ci-dessous :

Contribution de l’agilité aux pratiques fondamentales de la norme ISO 26000

Rappel des pratiques fondamentales de la norme ISO 26000

Du côté des pratiques fondamentales, ISO 26000 en propose deux. Ils engagent l’organisation dans une démarche via :

L’identification de sa responsabilité sociétale,

pouvant aller au-delà des murs de l’organisation elle-même (nous parlons ici de sa sphère d’influence, et des conséquences de son activité sur son écosystème)

L’identification et l’initialisation du dialogue avec les parties prenantes,

particulièrement importante dans un monde où il n’a été longtemps question que des clients et des actionnaires (employés, pouvoirs locaux, associations, … et toutes les entités concernées par l’entreprise et son activité)

Evaluation de la contribution du Disciplined Agile

L’analyse de la contribution du disciplined agile montre que les ways of working et les principes contribuent fortement à l’identification des parties prenantes, mais très peu à l’identification de la responsabilité sociétale.

 

La figure 2 ci-dessous résume cette analyse :

Conclusion partielle – une contribution hétérogène et mesurée

En première conclusion, nous voyons une certaine hétérogénéité dans la valorisation de la Responsabilité Sociétale par l’agilité. En particulier, certains principes communs (transparence, parties prenantes, etc…) sont largement mis en avant, au détriment d’éléments totalement absents des principes de l’agilité (qui ne parlent peu ou pas de légalité). Entre les deux, certains principes de Responsabilité Sociétale semblent apparaître comme souhaitables dans une entreprise agile, sans que cela se traduise dans les documents de référence.

Nous serions tentés d’en déduire que l’agilité va apporter des bénéfices, mais qu’une démarche spécifique de mise en place de la Responsabilité Sociétale sera nécessaire. Cela permettrait de s’assurer de la bonne prise en compte de tous les principes et des deux pratiques fondamentales.

3. Contribution de l’agilité aux questions centrales de la RSE

La seconde partiede la norme ISO 26000 étudiée concerne les questions centrales. Du point de vue de la norme, ce sont des éléments de Responsabilité Sociétale devant toutes entrainer une réflexion de l’organisation, là où la mise en œuvre pourra être plus contextuelle.

Contribution de l’agilité aux questions centrales de la norme ISO 26000

Rappel des questions centrales de la norme

ISO 26000 propose les 7 questions centrales ci-dessous :

  • Gouvernance des organisations
  • Droits de l’homme
  • Relations et conditions de travail
  • Environnement
  • Loyauté des pratiques
  • Questions relatives aux consommateurs
  • Communauté et développement local

Le détail ne chaque question centrale ne sera pas traité ici, mais est disponible dans des paragraphes dédiés de la norme.

Evaluation de la contribution du Disciplined Agile

Lorsque l’on évalue la contribution des Ways of Working et des principes du DA, nous constatons une contribution un peu plus homogène à chaque question centrale que nous l’avions pour les principes de la norme ISO 26000.

Cela étant, les questions centrales autour de la gouvernance, des relations et conditions de travail, ainsi que des questions relatives aux consommateurs sortent du lot.

En seconde vague se retrouvent les droits de l’homme, l’environnement et le développement des communautés locales.

Enfin, la loyauté des pratiques reste une exception à cette facilitation, thématique effectivement peu présente dans l’agilité (qui n’aborde pas ces points).

 

Cette analyse est résumée dans la figure 3 ci-dessous :

Conclusion partielle – une contribution mesurée, mais plus homogène

En seconde conclusion partielle, nous voyons que l’agilité a tendance à intervenir plus fortement dans les questions centrales de la Responsabilité Sociétale que sur les principes de cette dernière (au sens ISO 26000). Cela va une nouvelle fois dans le sens d’une capacité à mettre en œuvre une démarche Responsabilité Sociétale grâce à l’agilité.

Grande oubliée de l’agilité, la notion de loyauté des pratiques (comme pour le principe de légalité), devra être prise en compte avec une très forte intention dans une organisation agile, qui par nature n’irait pas se contraindre automatiquement avec les règles sociétales de l’écosystème de l’organisation.

4. Contribution de l’agilité aux axes d'intégration de la Responsabilité Sociétale dans l'organisation

La capacité à intégrer la Responsabilité Sociétale dans l’organisation et la dernière partie étudiée. Du point de vue de la norme, cette partie est très dépendante de l’organisation considérée, et la façon d’intégrer une Responsabilité Sociétale doit être modulée au cas par cas.

Contribution de l’agilité à l'intégration de la norme ISO 26000 dans l'organisation

Rappel des axes d’intégration de la norme 26000

ISO 26000 propose d’articuler la mise en œuvre d’une politique Responsabilité Sociétale autour de 6 axes :

  • Relation entre les caractéristiques de l’organisation et la responsabilité sociétale
  • Appréhender la responsabilité sociétale de l’organisation
  • Communiquer sur la responsabilité sociétale
  • Initiatives volontaires en matière de responsabilité sociétale
  • Revoir et améliorer les actions et pratiques de l’organisation liées à la responsabilité sociétale
  • Améliorer la crédibilité en matière de responsabilité sociétale

Le détail ne chaque axe ne sera pas traité ici, mais est disponible dans des paragraphes dédiés de la norme.

Evaluation de la contribution du Disciplined Agile

Nous observons une accentuation de la contribution du DA aux axes d’intégration de la norme ISO 26000 (par rapport aux questions centrales, et encore plus aux principes), et de l’homogénéité de cette contribution.

Dans le détail, nous notons simplement une contribution plus timide de l’agilité à la capacité de l’organisation à faire émerger des initiatives volontaires en matière de responsabilité sociétale.

 

Cette analyse est résumée dans la figure 4 ci-dessous :

Conclusion partielle – une contribution forte et homogène

Cette dernière conclusion partielle vient appuyer les deux précédentes : l’agilité semble apporter un réel cadre et une méthodologie efficace pour déployer une démarche de RSE dans l’organisation.

5. Conclusion – une organisation agile accélère une démarche consciente et holistique de Responsabilité Sociétale

Une contribution certaine de l’agilité à la démarche de Responsabilité Sociétale

En étudiant la contribution des Ways of Working et des principes du disciplined agile manifesto à l’ensemble de la norme ISO 26000, nous constatons une contribution claire et relativement homogène : l’agilité dans son ensemble contribue à la Responsabilité Sociétale dans son ensemble.

Lorsqu’on y regarde de plus près, il est important d’apporter deux nuances.

Nuance 1 : une contribution plus importante dans la mise en œuvre que dans les principes

Premièrement, la contribution des WoW et des principes et extrêmement variable selon que l’on parle des principes de Responsabilité Sociétale ou de la mise en œuvre. L’agilité contribuera d’autant plus à la mise en œuvre de la démarche de Responsabilité Sociétale (voir figure 5 ci-dessous).

Nuance 2 : Une contribution différente selon l’élément d’agilité / de Responsabilité Sociétale considéré

D’un côté, nous constatons que certains principes semblent servir moins que d’autres, et de l’autre que certains pans de la Responsabilité Sociétale semblent passés sous silence. C’est particulièrement vrai pour tout ce qui touche à la légalité et la loyauté des pratiques. Compte tenu de la dimension holistique de la Responsabilité Sociétale, il faudra que l’organisation agile qui se lance soit consciente de ces détails. Elle devra ainsi pousser certains principes plus que d’autres qui sont déjà naturels pour elle.

Les contributions des éléments du DA à la norme ISO 26000 sont résumées dans les figures 6 et 7 ci-dessous :

Conclusion De L’étude Et Ouverture​

Une organisation qui souhaite mettre en place une démarche de Responsabilité Sociétale devra donc le faire de façon consciente et engagée. Elle pourra s’appuyer sur l’agilité qui interviendra comme un accélérateur, hétérogène et mesuré au début de la démarche, homogène et intense dans la suite et la mise en œuvre.

Cette analyse documentaire ouvre un champ de travail sur la capacité des organisations à mettre en œuvre des politiques de Responsabilité Sociétale. Pour avancer dans ces recherches, nous invitons les lecteurs à étudier d’autres pistes, parmi lesquelles :

  • Faire la même analyse, et comparer les résultats obtenus
  • Etudier un ou plusieurs cas terrain et challenger les conclusions
  • Etudier d’autres modèles d’organisation et d’autres modèles de RSE
  • Etudier la pertinence de pratiques agiles et non agiles lors de la mise en place d’une démarche de Responsabilité Sociétale

6. Annexe

Annexe 1 : vue d’ensemble du Disciplined Agile

https://disciplinedagileconsortium.org/resources/Documents/Posters/PosterDisciplinedAgileManifesto.pdf

Annexe 2 : Vue d’ensemble de la norme ISO 26000

https://www.iso.org/fr/iso-26000-social-responsibility.html

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